Ricocher

Mais ?

Qui m'a ramassé et pourquoi ? J'étais bien, moi, au milieu de tous les autres, sur la rive. On était tous ensemble, on bougeait peu, c'est vrai. Parfois, l'un de nous roulait de quelques mètres, au gré des pas d'un promeneur. Jamais bien loin. Mais dans l'ensemble, nous gardions longtemps nos voisins, nous nous frottions les uns contre les autres pendant des éternités.

Alors, pourquoi moi ? Pourquoi m'avoir ramassé moi, m'avoir élevé à cette hauteur vertigineuse ?

Oh, ce n'est pas désagréable au début. On se dit « chouette ! Que se passe t' il ? Je suis plus haut que tous ! Le plus haut ! Il va sans doute m'arriver des choses formidables ! ».

J'ai vite déchanté, car la main qui m'avait soulevé m'a soudain jeté, projeté de toutes ses forces vers l'élément liquide qui était là, de tout temps, bien calme au bord de nous.

J'ai longtemps rasé la surface, revivant en pensée tous les instants de ma vie, les tempêtes, les jours de soleil ardent, les chamboulements, rares heureusement, lorsque des pas ou des véhicules nous écrasaient.

Puis j'ai heurté la peau de l'eau. C'est une sensation étrange. En même temps résistante, mais souple, cette matière donne envie de s'y enfoncer, mais on y rebondit. J'ai rebondi. Une fois. Deux fois. À chaque fois, j'entendais des cris derrière moi, des cris de joie qui comptaient mes rebonds. Trois fois. Cela finirait-il jamais ? Allais-je rebondir pour l'éternité ? Était-ce là ma nouvelle condition ?

Quatre fois. Cinq fois. La voix derrière moi exultait. Six fois. À chaque fois, ma rencontre avec l'eau faisait des vibrations, des ondes sur sa peau. Je commençais à m'y habituer.

Sept fois. Mes rebonds se faisaient de plus en plus petits, de plus en plus proches les uns des autres.

Jusqu'à ce que….

Enfin je perce cette carapace !

Enfin voir ce qu'il y a dedans, dessous !

Ce fût un beau voyage. Les couleurs, les sons, les odeurs, tout différait de mon séjour terrestre. D'étranges êtres peuplaient cet élément. Ce n'était donc pas une légende ? Parfois, parmi nous, certains parlaient de « Poids-sons », d'êtres, pourtant muets, qui sortis de l'onde, suffoquaient avant de mourir sur nous et de se dessécher au soleil. Je les voyais maintenant dans leur environnement naturel, beaux, mobiles, nobles. L'un d'eux essaya même de me gober, mais par bonheur, il ne put me rattraper.

Enfin, le fond. Là, je me suis posé, sans rebondir une seule fois, tout en douceur.

Là, voilà… je retrouve mon calme, mon intrinsèque immobilité minérale. Ouf, fini les envolées dans les airs, le planage au dessus de l'eau, la surface où rebondir, s'enfoncer, fini le voyage aquatique, je suis enfin posé.

Tiens, mais je ne suis même pas seul ! Là, à côté de moi ! Un frère ! Une sœur !

J'ai eu peur ! Si peur ! Mais maintenant que je suis là, c'est différent, tout change, les sons sont étouffés, il fait plus sombre, les odeurs… c'est différent, mais pourtant je ne suis pas mal, là, puisque j'ai retrouvé certains des miens, petits cailloux millénaires arrachés à la rive, projetés dans le lac par d'innocentes mains.

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