Dans l'église: je ne veux pas de ces dieux là.

 

Elle passe le porche, pousse la lourde porte de bois, et entre dans l'église, sombre et silencieuse. Elle cherchait  un abri pour ses émotions, ses sentiments, un endroit où réfléchir tranquillement sans risquer d'être interrompue. Elle aurait pu, comme à son habitude, partir faire le tour de la ville d'un pas rapide, réfléchir au rythme de la marche, mais aujourd'hui, non, elle avait besoin de se poser, pour faire le point, et elle n'avait trouvé que ce lieu là.

La dernière fois qu'elle était entrée dans l'église, c'était pour s 'associer à la peine de sa famille,

allumer une bougie, confier à la flamme sa tristesse, son désarroi de n 'être pas avec eux, croire désespérément à la force de la pensée, à défaut de prières. Comme elle aimerait posséder encore ce précieux recours, pouvoir venir ici, déposer joies et chagrins, confier à Quelqu'un les pensées trop fortes, trop intimes pour être dites.  Avec un soupçon  d'amertume, elle cache ses yeux dans ses mains.

Une chanson prend le relais de ses pensées troublées, la force des paroles rebelles couvrant la nostalgie du refuge perdu: « je ne veux pas de ces dieux tristes qui ont embués mon enfance, je ne veux plus de ces martyrs qui font gémir les cathédrales, je ne veux pas de ces dieux là... je ne veux pas de ces dieux là... »

Soudain, la sortant de sa rêverie, la sensation d' une présence, à quelques mètres d'elle. Pourtant il n'y avait  personne avant, et elle n'a entendu personne arriver, elle se croyait seule ! Trop absorbée sans doute...

Elle risque un regard vers la silhouette assise très droite dans la pénombre, digne, recueillie.

Puis... l'impression que quelqu'un pénètre au coeur de ses pensées, lit en elle les mots qu'elle prononce intérieurement, lui répond, quelqu'un qui la comprend intimement et qui lui souffle à l'oreille la suite oubliée de la chanson: « Je veux le feu, je veux le vent, je veux le retour du printemps, une source, la mer qui gronde, je veux des forêts et des champs, c'est de ces dieux là que je veux... »

Elle se redresse, relève la tête, « Je veux le coeur, je veux les yeux, je veux l'amour d'une femme, je veux les mains de mes amis, je veux les rires des enfants, c'est de ces dieux là que je veux...», échange  de regards, intenses.

Surprise, incrédule, elle ferme à nouveau brièvement les yeux, respire profondément pour prendre la mesure de l' émotion ressentie. Quand elle les rouvre, quelques secondes plus tard, l'église est à nouveau déserte.

-  J'ai dû rêver, de telles histoires n'arrivent que dans les contes, pense t' elle.  Déboussolée, elle reste encore quelques minutes, prend le temps d'allumer une bougie, et se surprend à murmurer, malgré elle, l'amorce d'une prière: l'espoir de ne faire souffrir personne en laissant vivre  ses sentiments.

Elle sort, aveuglée par le soleil. Elle a juste le temps de voir, là-bas, quittant la place et se dirigeant vers la ville, la silhouette bienveillante, trop rapidement aperçue dans l'église.

 

Elle n'a pas rêvé. Elle part alors elle aussi,

vers la ville, vers la vie...

  

28 février 2004

  Paroles de la chanson: Gabriel Yacoub

 
photo: claire, 12 septembre, St bertrand de comminges


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